Résumé analytique

La dernière vague de violence en République centrafricaine (RCA) commença à gagner le pays en 2012. Elle débuta lorsque le Séléka, une alliance de groupes rebelles opérant dans le nord-est du pays, se mobilisa afin de renverser le président François Bozizé (ce qu’il parvint à faire en mars 2013) et d’installer à la présidence son chef de file, Michel Djotodia. Les violences, les pillages et les abus que le Séléka commit provoquèrent l’émergence d’une coalition hétéroclite de groupes locaux d’autodéfense dite anti-Balaka.

Les exactions entre et au sein du Séléka et des milices anti-Balaka attinrent leur paroxysme en décembre 2013, forçant Djotodia à se retirer du pouvoir en janvier 2014. Alors qu’un gouvernement transitoire a entretemps été établi, les conflits entre de nombreux groupes armés persistent et les tensions intracommunautaires demeurent à ce jour non résolues. En conséquence, les actuelles vagues de violence ont surpassé les crises endémiques caractéristiques des précédentes décennies. Plus de personnes sont mortes ou ont été déplacées qu’à aucune autre période dans le passé. La cohésion sociale a été brisée et l’économie déjà affaiblie s’est encore davantage contractée.

Quoique les clivages interconfessionnels aient souvent été cités comme cause des violences actuelles, les raisons profondes peuvent être trouvées dans un mélange complexe de mauvaise gouvernance et de profondes inégalités sociales. Le présent rapport met en avant quatre facteurs interconnectés engendrant l’instabilité actuelle de la RCA : 1) une société fracturée ; 2) causée par des crises politiques et armées chroniques ; 3) modelée par des influences extérieures sur la politique nationale et sur les rébellions ; et 4) un manque d’intérêt géopolitique pour un pays enclavé et faiblement peuplé.

1) La société fracturée de la RCA n’est pas seulement caractérisée par des fossés interconfessionnels, elle l’est aussi par des divisions entre le nord et le sud, l’économie pastorale et agraire, les générations jeunes et anciennes ainsi qu’entre la capitale Bangui et les régions périphériques du pays. Ces divisions sont alimentées par des griefs politiques et économiques largement répandus et trouvent souvent leur expression le long de ces lignes de fracture. Il en résulte des mouvements politiques, des réseaux commerciaux et des organisations sociétales fragmentés. Dans un contexte de pauvreté endémique, de corruption ainsi que de discrimination ressentie par les populations musulmanes et nomades marginalisées, l’espoir de changements et la promesse de retombées économiques s’avèrent être une stratégie de recrutement fructueuse pour les chefs de rébellion. Plutôt qu’à de larges mouvements idéologiques, le pays a assisté et continue d’assister à la formation de groupes et d’alliances armés aussi inconsistants que fragmentés, découlant souvent d’alliances historiques et s’appuyant sur des bases de soutien dans les provinces.

2) L’actuelle guerre civile est la dernière et plus sérieuse éruption de violence parmi les vagues de conflit récurrentes à l’occasion desquelles les leaders politiques ont utilisé l’appareil étatique à des fins d’enrichissement personnel et comme moyen de promouvoir celui-ci au sein de leur réseau politique, économique et social par l’octroi de postes et le reversement de bénéfices. L’Etat contrôlant l’accès aux ressources les plus lucratives du pays (minéraux et aide au développement), la présidence a toujours fait l’objet d’une compétition acharnée. Dans cette culture du « diviser pour régner », l’Etat peut être qualifié d’habilement négligent : les fonctions étatiques n’affectant pas la sécurité du régime ont été abandonnés – par ex. les services publics en dehors de Bangui – tandis que ceux qui peuvent constituer une menace – l’armée – ont été délibérément affaiblis. Les présidents ont également délégué les problèmes et les tensions dans les régions périphériques à des acteurs sécuritaires non-étatiques comme des groupes d’autodéfense qui depuis des décennies – en combinaison avec l’affaiblissement de l’armée – ont engendré rébellions et mutineries.

La petite élite politique concentrée à Bangui mène une compétition pour l’accès aux richesses économiques en surmontant les lignes séparant les diverses rébellions armées, les carrières politiques et la société civile, plongeant ainsi l’Etat dans une crise chronique. Depuis que quelques élections démocratiques ont été organisées et que les enjeux gouvernementaux ont été gagnés par l’opposition militaire, les acteurs armés, bien plus que les partis civils, continuent de dominer le paysage politique du pays.

3) La RCA a toujours été fortement influencée par des dynamiques régionales et a connu des ingérences directes dans sa propre politique nationale. Les présidents du pays ne sont restés au pouvoir qu’aussi longtemps qu’ils servaient les intérêts de l’ancienne puissance coloniale, la France, et des pays voisins – plus particulièrement du Tchad et du Soudan. L’intervention extérieure va de l’ingérence directe dans la politique nationale – comme le soutien du président tchadien Idriss Déby aux diverses rébellions et coups d’Etat – à une ingérence plus indirecte et élusive, notamment avec l’aide d’intermédiaires dans les régions périphériques délaissées – le Soudan utilisant par exemple les zones frontalières de la RCA comme base arrière pour ses opérations au Soudan du Sud ou au Tchad. En termes économiques, les régions frontalières de la périphérie continuent de délivrer des terres fertiles pour le bétail ou le commerce local de marchandises, tout comme pour les hommes d’affaires de la région agissant dans le commerce de l’or et des diamants. Nombre de ces relations commerciales frontalières sont informelles voire illicites, mais toutes approfondissent les divisions déjà existantes entre le centre et la périphérie, illustrant ainsi l’incapacité du gouvernement à contrôler son territoire.

4) Quoique possédant d’importantes ressources naturelles comme les minéraux, le pétrole ou le bois, la RCA fut en règle générale d’un faible intérêt économique et politique pour les puissances occidentales. Même si la France a tiré avantage de la position géostratégique de la RCA par le biais d’une forte présence militaire, ni elle ni d’autres puissances étrangères n’ont jamais investi dans un développement à grande échelle ou dans une exploitation au niveau industriel du potentiel en ressources du pays. La RCA n’a également reçu qu’une attention minimale de la part de partenaires internationaux au développement. Le niveau de l’aide a toujours varié suivant la situation politique et sécuritaire du pays et l’aide internationale s’est souvent cantonnée à l’administration centrale de Bangui ainsi qu’à un programme restreint donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité. Les diverses opérations mineures de maintien de la paix se sont, au cours des deux dernières décennies, essentiellement concentrées sur la stabilisation à court terme et ne sont pas parvenues à adopter une stratégie efficace de lutte des causes profondes des conflits. Les secteurs sécuritaire et judicaire du pays souffrent toujours de dysfonctionnements, s’avèrent à peine opérants en dehors de la capitale et nécessitent une réforme en profondeur.

Le déploiement de la première opération de maintien de la paix des Nations unies à grande échelle en septembre 2014 (MINUSCA) montre que la communauté internationale aspire à accroitre les efforts de stabilisation de la RCA. Cependant, la situation en RCA, avec ses problèmes géopolitiques et ses besoins humanitaires visiblement bien plus urgents dans l’agenda international, demeure une crise largement oubliée. Pour atteindre les réformes souhaitées en matière de stabilité politique et sécuritaire, sans pour autant négliger les secteurs tels que les infrastructures et les services de base, la communauté internationale devra réexaminer la conception et l’organisation matérielle des structures et des modalités de l’aide délivrée à la RCA. Cet examen devrait inclure une analyse minutieuse des dilemmes et compromis suivants:

Le soutien à court terme aux solutions politiques et militaires peut promouvoir temporairement la stabilité, la stabilité à long terme est toutefois mieux garantie si des programmes incluant des participants civils et politiques conduisent le processus de transformation du mode de gouvernance de la RCA.

Le fait de maintenir la priorité au renforcement de l’Etat unitaire risque d’amplifier le détachement des régions périphériques du pays, lequel alimente nombre d’inégalités. D’un autre côté, les efforts investis dans un développement décentralisé et local par le biais de l’administration, des services publics et l’appareil judiciaire locaux dans les provinces pourraient se retrouver sapés par le manque d’engagement et de bonne volonté politique au niveau national.

Seul le passage en justice des auteurs de crimes et le paiement de dédommagements aux victimes de la dernière vague de violence sont aptes à rompre le cercle vicieux de l’impunité. Toutefois, les mécanismes de justice et de réconciliation doivent s’abstenir de mettre en exergue des communautés toutes entières et de renforcer ainsi le cadre de conflits de nature religieuse.

Les efforts entrepris en RCA ne constituent qu’une partie de solution, la stabilité ou l’instabilité étant dans une certaine mesure le produit d’ingérences extérieures. L’aide internationale à la RCA doit par conséquent inclure une composante encourageant les acteurs régionaux à promouvoir le dialogue politique et les dissuadant de déstabiliser le pays.

Le montant limité de l’aide internationale octroyée – par le passé comme aujourd’hui – à la RCA appelle, au vu des besoins massifs du pays dans tous les domaines, des choix stratégiques et coordonnés afin que les efforts accomplis puissent avoir un impact visible.