Chapitre 3
Examiner les opérations : efficacité des systèmes judiciaires maliens et changements à y apporter

Ce chapitre est consacré à l’efficacité des systèmes judiciaires coutumiers et étatiques du Mali. Il examine la prédominance et la popularité des systèmes judiciaires coutumiers, qui ont la faveur de la majorité des Maliens en dépit des défis que représentent pour eux le conservatisme social, leur portée limitée, leur fragmentation, ainsi que leur manque de transparence et de cohérence. Le chapitre analyse également les problèmes de la justice étatique, notamment la corruption généralisée, l’allocation inadéquate des ressources, leur mauvais usage et le profond manque de moyens. Il examine ensuite les initiatives de justice transitionnelle mises en place par le Mali au lendemain de la crise de 2012 en tant qu’autre aspect de l’efficacité judiciaire et suggère que ces initiatives sont actuellement trop centrées sur l’État et reposent trop sur un grand nombre d’institutions pour répondre aux attentes de la population. Il passe enfin en revue les initiatives antérieures qui visaient à améliorer la justice étatique au Mali car ces expériences passées sont susceptibles de fournir des indices importants pour les efforts futurs.

Droit coutumier : les défis de l’égalité, de la transparence et de la fragmentation

Comme le rapport le montre clairement, c’est le « pluralisme juridique » qui caractérise le mieux la justice au Mali. Ceci veut dire que plusieurs systèmes judiciaires coexistent et traitent à la fois d’affaires de droit civil et de droit pénal.[92] Le système judiciaire étatique ne représente qu’une seule pièce de cette mosaïque, et cette pièce n’est en aucun cas la plus pertinente. On estime ainsi que 80% des litiges familiaux et fonciers dans les communautés défavorisées du Mali sont réglés par des systèmes judiciaires coutumiers.[93]

Les systèmes judiciaires coutumiers du Mali sont populaires parce que pour le citoyen moyen, ils sont facilement accessibles au sens le plus large du terme.[94] Plus précisément, ces systèmes sont pratiques car toutes les parties concernées se trouvent habituellement à proximité les unes des autres ; ils sont peu onéreux, du fait qu’ils n’exigent aucun frais de dossier ou n’entraînent aucun coût de déplacement ; et ils sont familiers, les médiateurs impliqués dans le règlement des différends étant généralement connus de la communauté, parlant sa langue et partageant la même culture et la même religion. Les systèmes coutumiers sont les plus actifs dans les régions où l’État n’est pas présent. Dans ces régions, le chef du village incarne le plus souvent la seule autorité véritable. Dans ces contrées, si les affaires ne sont pas portées à l’attention de la justice officielle, c’est parce que le sentiment général est qu’elle n’existe pas.[95]

Malgré leur popularité, les systèmes judiciaires coutumiers du Mali sont confrontés à des défis qui s’apparentent à ceux que connaissent de nombreux systèmes du même type.[96] Pour commencer, certains aspects du droit coutumier et de l’application de celui-ci sont incompatibles avec les droits que la Constitution confère à chaque Malien. La raison en est que ces systèmes reflètent habituellement des systèmes de valeur ruraux et patriarcaux qui sont plus conservateurs que la Constitution relativement progressiste du Mali et la plupart des lois positives (c’est-à-dire en vigueur). Les coutumes matrimoniales de la communauté Buwa reviennent ainsi à ce que l’homme enlève la jeune fille ou la femme qu’il souhaite épouser.[97] Le statut généralement bas des femmes au sein de la famille et de la communauté maliennes affecte aussi leur capacité à négocier sur un pied d’égalité avec leurs adversaires juridiques, en particulier leurs époux. Dans les zones rurales notamment, les femmes et les enfants ne jouissent souvent d’aucune forme de statut, et sont donc vulnérables dans le cadre de procédures judiciaires coutumières.[98] De plus, la justice coutumière souffre, dans une moindre mesure, de la même corruption et de la même politisation qui entament la légitimité et l’autorité des tribunaux étatiques.[99] Les procédures judiciaires coutumières sont en outre souvent conduites de façon orale uniquement. Il n’y a donc aucune prise de responsabilité ni codification, de sorte que les « juges » coutumiers peuvent ignorer les précédents et en créer de nouveaux si telle est leur inclination.[100] Enfin, l’application des « jugements » coutumiers dépend en grande partie de la bonne volonté des parties de les exécuter. Toutefois, les acteurs principaux de ces systèmes informels ayant un niveau d’autorité très élevé au sein de la communauté, les parties se sentent moralement obligées de respecter les accords approuvés par les institutions informelles. Si une partie revient sur ses engagements, il/elle est considéré(e) comme « récalcitrant(e) » et méprisé(e) par la société.[101] Néanmoins les accords ne sont pas toujours respectés et d’anciens conflits refont régulièrement surface. Dans ce contexte, il convient de souligner que le respect vis-à-vis des autorités informelles tend à décliner au fur et à mesure que la société malienne se modernise, ce qui se vérifie particulièrement dans les zones urbaines où les « concepts de famille et de relations culturelles ont de moins en moins de valeur ».[102] Le recours aux mécanismes judiciaires coutumiers, de même que les taux d’exécution des jugements qu’ils rendent, peuvent dès lors connaître un recul relatif dans le futur, même s’ils continuent globalement de jouer un rôle majeur.

Comme indiqué, la grande variété de mécanismes judiciaires coutumiers et de pourvoyeurs de tels services au Mali, y compris des chefs de famille ou de communautés, des dignitaires religieux ou des membres de castes spécifiques (voir encadré 4), constitue un défi d’un tout autre genre. Les variations sont énormes selon les régions, les ethnies et la religion. Celles-ci sont néanmoins peu documentées et insuffisamment comprises.[103] Les acteurs en question n’utilisent pas tous nécessairement une base coutumière ou juridique commune pour leurs jugements et la situation qui en résulte est celle d’un véritable pluralisme juridique. Ceci veut dire que les décisions de justice dans des affaires similaires peuvent considérablement varier et qu’il est possible que les précédents et la jurisprudence ne ressortent pas de ces décisions de façon évidente, cette souplesse pouvant par contre être considérée comme un avantage car elle permet de prononcer des jugements qui tiennent davantage compte du contexte.[104] Il peut en outre arriver que des parties en litige soient issues de traditions coutumières différentes. Dans ce cas, elles peuvent être amenées à choisir une troisième tradition coutumière pour régler leur différend, ce qui les place alors toutes deux en terrain neutre.[105]

Box 4 Les différents acteurs de la justice coutumière au Mali

Les sages de la famille
Pierre angulaire de la société malienne, la famille représente le premier échelon de règlement des différends. Ceux-ci font habituellement l’objet d’une médiation à l’initiative du chef de famille (en général l’homme le plus âgé de la famille élargie) ou sur la demande d’un autre membre de la famille.

Les dignitaires religieux
Les leaders religieux peuvent aider à régler des différends entre les membres de leur congrégation. Lorsqu’un tel différend survient, les parties sont appelées à comparaître devant un comité de sages – responsable de la surveillance des activités de l’institution au sein de la communauté – qui s’efforce ensuite de régler le différend par voie de médiation. Au Nord, les Cadis (juges religieux) sont réputés jouer un rôle dans la médiation de litiges civils.

Les communicateurs traditionnels
Les communicateurs traditionnels, tels les griots au Sud, sont des individus investis par la tradition et les coutumes de la charge de préserver et de transmettre les traditions et l’histoire d’une famille ou d’une communauté. Bien que le rôle de ces communicateurs traditionnels varie au sein de chaque famille ou communauté, ils peuvent également être appelés à régler des différends par voie de médiation.

Les autorités locales
Les chefs de quartier, de village et de fraction se sont vus conférer par voie législative la faculté d’arbitrer des litiges civils ou commerciaux entre citoyens. Les différends sont habituellement transmis à ces autorités locales lorsqu’aucun règlement n’a pu être trouvé au sein de la famille, ou lorsqu’ils menacent la stabilité de la communauté.

Cet encadré est basé sur: Dakouo et al. (2009), op. cit ; ABA (2012), op. cit. ; interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 28 mars 2015.

Clairement, et malgré les défis qui se posent à eux, les acteurs de la justice coutumière ont un rôle d’une pertinence telle qu’elle souligne la nécessité de les aider à améliorer la façon dont ils rendent la justice, et non de les marginaliser au profit de la justice étatique. Une des voies qui permettrait le changement serait de « connecter » les acteurs de la justice coutumière à ceux de la justice étatique afin d’encourager un processus d’apprentissage mutuel et de collaboration pratique. Cette idée risque toutefois de se heurter à au moins deux obstacles. Le premier est qu’en général, les autorités administratives ne reconnaissent pas les décisions rendues par les autorités religieuses et coutumières. Formellement, leurs jugements n’ont aucune base légale, ou si peu (le récent accord de paix semble toutefois vouloir remédier à cette situation).[106] Le second est que les autorités administratives font preuve d’un certain dédain pour les règles coutumières ou religieuses.[107] Comme on peut s’y attendre, il existe deux écoles de pensée dominantes parmi les représentants du système judiciaire étatique concernant la valeur et le rôle des acteurs de la justice coutumière. Les tenants d’un plus grand conservatisme juridique s’appuient sur les textes de loi de l’État malien et rappellent qu’aucun rôle (ou alors un rôle mineur) n’est dévolu aux acteurs de la justice coutumière dans les procédures judiciaires, en particulier le procès pénal. Quant aux partisans d’un plus grand réalisme juridique, ils reconnaissent de façon pragmatique le fossé qui existe entre la lettre de la loi et la réalité de la pratique juridique.[108] Ce constat suggère que la revalorisation du statut des acteurs de la justice coutumière auprès des membres de l’appareil judiciaire étatique d’une part, et la promotion d’une plus grande confiance des acteurs de la justice coutumière envers leurs homologues de la justice étatique d’autre part, doivent faire partie des efforts visant à améliorer leurs relations mutuelles.

Justice étatique : corruption et défis en matière de ressources

Le système judiciaire étatique du Mali a été réorganisé à la faveur de l’introduction d’un gouvernement démocratique multipartite en 1992. Il reste cependant étroitement calqué sur une version ancienne du système judiciaire français (voir encadré 5 ci-dessous). Bien qu’il faille reconnaître qu’un certain nombre de fonctionnaires de l’appareil judiciaire s’emploient à faire du bon travail et à encourager les réformes de l’intérieur, et que par ailleurs, de courageux efforts de changement ont été entrepris, il est juste de dire que le système judiciaire étatique du Mali est gangréné par la corruption et qu’il souffre d’un grave manque de compétences et de capacité.[109] Ces problèmes ont pour effet de réduire encore davantage la qualité du peu de justice qui est encore fourni aux Maliens. Nous les examinons plus en détail ci-dessous.

Corruption chronique

Nombreux sont les Maliens qui considèrent que la justice étatique est l’une des institutions gouvernementales les plus corrompues.[110] Cette observation a été reprise dans un rapport provenant de l’ambassade des États-Unis à Bamako qui a fait l’objet d’une fuite en 2009. Il y était affirmé que « le système judiciaire est fortement corrompu, les pots-de-vin payés sous le manteau étant considérés comme une façon acceptable d’influencer le jugement d’une affaire ».[111] Illustrant cette analyse, un avocat malien a récemment déclaré que « la justice malienne est indépendante de tout sauf de l’argent sale ».[112] Il convient cependant de noter que la corruption est courante dans l’administration publique et qu’elle ne se limite pas à l’appareil judiciaire. En fait, la corruption semble s’être généralisée au point de s’enraciner dans les habitudes de la vie quotidienne et de miner la moralité des citoyens et l’intégrité de la fonction publique. Elle ne soulève même plus de tollé lorsqu’elle est exposée.[113] Un des interviewés a fourni un exemple confondant à cet égard : alors qu’il roulait en voiture avec son fils de 8 ans, il s’est rendu compte qu’il avait oublié de se munir de son permis de conduire. Son fils lui fit alors la remarque suivante : «  Ne te fais pas de souci, papa. Si la police t’arrête, donne-leur juste 100 francs et tout se passera bien ».[114]

Box 5 Les institutions clés du système judiciaire étatique Malien

Les Justices de paix à compétence étendue (JPCE)
Les JPCE maliennes assument les rôles de magistrat du siège, de procureur et de juge d’instruction en vue de rendre la justice d’État disponible dans les zones rurales. Elles ont été la cible de nombreuses critiques au motif qu’elles concentrent trop de pouvoir entre les mains de quelques personnes. Comme on peut s’y attendre, les recours sont peu nombreux. Les JPCE sont actuellement en train d’être supprimées.

Les Tribunaux d’instance (TI)
Les TI sont supposés remplacer les JPCE et disposer de magistrats du siège, de procureurs et de juges d’instruction distincts.

Les Tribunaux de première instance (TPI)
Divisés en tribunaux ordinaires ou spécialisés, les TI connaissent des affaires civiles en premier ressort et des appels pour les affaires concernant des sommes inférieures à un certain montant. Ils statuent également sur les infractions mineures et les délits. En règle générale, ils sont composés d’un juge unique, d’un juge d’instruction et d’un procureur. Les TPI sont actuellement aussi en train d’être supprimés.

Les Tribunaux de grande instance (TGI)
Les TGI sont censés remplacer les TPI, la différence principale résidant dans le fait que les TGI connaîtront des affaires en collèges de trois magistrats au lieu d’un juge unique.

Les Cours d’appel
Les décisions de première instance qui font l’objet d’une contestation peuvent être portées devant une des trois Cours d’appel que compte le Mali et qui siègent à Bamako, Kayes et Mopti. Les magistrats de la Cour d’appel examinent à nouveau tant les faits que les fondements juridiques de la décision de première instance. Ils siègent en collèges de trois juges. À ce niveau judiciaire, il existe également des Cours d’assises, qui ont seulement compétence pour les affaires criminelles. Les Cours d’assises sont présidées par un collège de trois magistrats issus des Cours d’appel, assistés d’un jury populaire de quatre citoyens.

La Cour suprême
La mission principale de la Cour suprême est de connaître des appels des juridictions inférieures à travers sa section judiciaire. Cette section ne vérifie en principe pas les faits, mais contrôle simplement l’application correcte du droit malien. Il a toutefois été observé que dans la pratique, les juges procèdent à une troisième révision des faits. Seule la Cour suprême a compétence pour connaître des appels des Cours d’assises.

La Cour constitutionnelle
Cette institution est chargée du bon équilibre des différentes branches du gouvernement puisqu’elle contrôle la constitutionnalité des lois, garantit les droits fondamentaux des individus et les libertés publiques, régule le fonctionnement des institutions de l’État et arbitre les conflits entre ces dernières. C’est elle aussi qui établit la validité des scrutins électoraux.

La Haute cour de justice
La Haute cour de justice juge les affaires de haute trahison, de crimes commis dans l’exercice des plus hautes fonctions publiques, ou de complicité dans un complot contre la sûreté de l’État. Ses membres sont choisis par l’Assemblée nationale. Dans la pratique, cette cour est considérée comme une institution faible qui n’a pas rempli son mandat.

Cet encadré est basé sur: Constitution malienne ; Moulaye et al. (2007), op. cit ; Feiertag (2008), op. cit. ; ABA (2012), op.cit. ; Weis, P. et al., Période de démarrage du programme d’appui au secteur de la justice au Mali (PAJM), rapport final et annexes, Union européenne, 2014 ; interview individuelle, Goff, D., le 20 février 2015, La Haye.

Du point de vue de l’analyse et des mesures à prendre, il est utile de distinguer deux types de corruption au sein du système judiciaire, à savoir les pratiques corrompues auxquelles recourent à titre individuel un certain nombre de professionnels du droit, et la corruption plus systémique qui résulte de la collusion entre, par exemple, des éléments de l’exécutif, d’anciennes personnalités politiques, et des fonctionnaires et des éléments de l’appareil judiciaire. Cette distinction faite, nos recherches nous ont conduit à cette constatation importante : la compréhension de la corruption plus systémique au Mali semble être relativement superficielle. Ce type de corruption n’a pas été bien documenté. Les interviews confirment de façon claire l’existence d’une corruption systémique organisée par l’appareil judiciaire et passant par lui. Elles en livrent également quelques preuves. Mais il n’a pas été possible de cartographier cette dynamique de façon adéquate dans le cadre du présent rapport.

La plupart du temps, la corruption individuelle prend la forme de paiements importants qui doivent être versés en-dessous de table pour s’assurer d’une décision favorable des tribunaux d’État maliens. Chaque échelon du système judiciaire est considéré comme étant corrompu, ses décisions étant à vendre.[115] Une des personnes interviewées a ainsi décrit le cas d’un juge d’instruction qui avait ordonné la relaxe d’un prévenu en échange d’une somme de 1 million de francs CFA, sans avoir même compétence sur le dossier.[116] Eu égard au fait que le citoyen moyen ne peut se permettre de tels paiements, qui viennent s’ajouter aux frais de dépôt de plainte et de déplacement pour se rendre au tribunal d’État le plus proche, ces éléments réduisent encore davantage l’accès de la justice étatique à la population malienne.

On attribue habituellement la corruption individuelle à deux facteurs. Il s’agit en premier lieu des salaires relativement bas des juges par rapport à ceux des avocats privés.[117] Lorsque le système judiciaire étatique était encore présent dans le Nord, les avocats avaient pour habitude d’intégrer dans leurs honoraires une « indemnité de juge », en réalité un supplément illégal au salaire du juge. On raconte par ailleurs que si un juge veut rester intègre, il doit choisir personnellement de rester pauvre.[118] Pour les Maliens, il est facile d’identifier quels sont les acteurs corrompus, en particulier si ces derniers étalent au grand jour un train de vie qu’ils ne pourraient mener en ne recevant que leurs salaires officiels. Le deuxième facteur est la pression sociale qui pèse sur les acteurs du système judiciaire par le jeu de faveurs offertes à leur famille ou à des personnes de leur communauté. Il est normal pour eux d’être constamment approchés à dessein à l’occasion d’événements tels que des mariages ou des réunions de voisinage.[119] Bien que de nombreuses mesures anti-corruption aient été adoptées, elles n’ont pas été suivies de beaucoup d’effets en raison de l’absence de soutien au plus haut niveau pour leur mise en œuvre. Elles n’ont en outre pas été dotées de moyens suffisants.[120] Quant aux postes créés au sein des institutions de contrôle chargées du secteur de la justice, ils n’ont pas bonne presse. Loin d’être considérée comme prestigieuse, une nomination à l’un de ces postes est au contraire interprétée comme un signe de disgrâce.[121]

La corruption systémique s’installe dès lors que le système judiciaire devient un véhicule au moyen duquel la corruption à plus grande échelle est organisée. Un interviewé a ainsi narré la façon dont Malitel (détenu à 90% par l’État) a engagé des poursuites dans un différend commercial avec Orange, exigeant des dommages et intérêts de l’ordre de 5 milliards de francs CFA. Il a indiqué que l’avocat représentant Malitel avait autrefois été ministre et qu’il jouissait encore de bonnes relations dans le milieu politique au moment des faits. De l’avis de l’interviewé, l’avocat a « fait jouer » ses relations pour s’assurer que des dommages et intérêts seraient dus, mettant la main sur une part substantielle de ceux-ci à titre de commission. Orange a ensuite simplement amorti cette somme en l’ajoutant à la dette générale de l’État malien envers elle. L’interviewé a affirmé qu’un nombre de fonctionnaires de l’État avaient soutenu tacitement ce plan, compte tenu du fait qu’au final, la dette retombait sur l’État tandis que les pots-de-vin et le népotisme accompagnant le plan garantissaient des bénéfices individuels pour toutes les personnes concernées.[122] Des exemples supplémentaires, bien que plus modestes, de corruption systémique concernent l’incidence largement répandue de diplômes de droit qui ont été achetés ou de promotions de carrière dans le secteur de la justice basées sur les ressources financières ou les relations de la personne concernée.[123]

Ce qui est pire encore, c’est que le système de justice étatique n’est pratiquement pas en mesure de prévenir et de sanctionner les abus commis dans la fonction publique – au sein de l’appareil judiciaire et en-dehors de celui-ci. La conséquence évidente d’une telle incapacité est que ce système ne constitue pas, pour les fonctionnaires de haut rang, un instrument de dissuasion efficace contre la corruption. Même dans le cas où des affaires de corruption sont clairement identifiées, elles restent largement impunies. Le Bureau du vérificateur général (BVG), une autorité indépendante créée en 2004 pour surveiller les dépenses publiques du Mali, a ainsi révélé que l’équivalent de 100 millions de dollars des États-Unis avaient été détournés en 2011 et a présenté ses conclusions au président de la République, au Premier ministre et au président de l’Assemblée générale. Le président de la République a ensuite transmis au ministère de la Justice 100 affaires qui avaient été mentionnées dans les audits gouvernementaux aux fins d’engager des poursuites. Sur ces 100 affaires, seul un petit nombre a donné lieu à l’arrestation et à l’emprisonnement de fonctionnaires, la majorité n’étant pas suivie d’une quelconque suite judiciaire.[124] Autre exemple : il se disait que le ministre des transports et des infrastructures aurait utilisé des fonds publics à hauteur de 11 millions de francs CFA en 2011 pour acheter du thé, probablement avec l’intention de le revendre. Malgré le fait que cette information soit de notoriété publique, le ministre a pu rester en fonction au-delà de la crise de 2012. Bien que les fonds détournés fassent occasionnellement l’objet d’une restitution partielle lorsque des malversations de grande ampleur sont constatées, il n’est pas inhabituel que cette restitution ait lieu « sous le manteau », sans transparence aucune ni poursuites judiciaires.[125] Ceci contribue à maintenir une culture de l’impunité au sein de la fonction publique, cette dernière étant couramment utilisée à des fins d’enrichissement personnel et la corruption devenant la norme.[126]

Certains indices semblent néanmoins montrer que le ministère de la Justice a fait davantage d’efforts depuis la crise de 2012 pour poursuivre les magistrats corrompus. En décembre 2013, par exemple, six juges et fonctionnaires de justice ont été inculpés de faux et d’usage de faux, de fraude et d’extorsion de fonds. Il a en outre été annoncé dans la presse que des affaires de suspicion d’autres juges « peu scrupuleux » étaient en cours d’examen. Le président IBK, qui dit-on aurait diligenté cette enquête, a pour sa part déclaré vers cette époque avoir transmis à la justice une centaine de dossiers de corruption et de délits financiers.[127] La présente recherche n’a malheureusement pas pu établir si ces enquêtes et renvois devant la justice avaient été suivis d’effets. Reste que l’absence (quasi-)totale d’examen par les pairs ou d’évaluation des performances, la quasi-inexistence de sanctions en cas de comportement inapproprié et le népotisme endémique suggèrent que la situation n’est pas près de changer, s’agissant du cadre propice à la corruption qui existe au sein de l’appareil judiciaire.[128]

Allocation, utilisation et pénurie des ressources tangibles et intangibles

Quant aux ressources dont l’appareil judiciaire dispose, la tentation est grande de se concentrer seulement sur le manque criant de personnel, de moyens financiers et de facilités auquel cet appareil est confronté, tant pour la qualité que pour la quantité. Mettre l’accent sur ce problème est compréhensible, d’autant qu’il s’étend bien au-delà du volet purement étatique du processus judiciaire pour inclure des fonctions privées et/ou non lucratives associées à la justice, telles que celles des avocats et des auxiliaires de justice. Mais si l’on se concentre exclusivement sur ces carences – du reste pertinentes –, on peut prévoir que cela déclenchera une cascade de lamentations[129] qui conduira à négliger la question de savoir comment les ressources existantes sont allouées et utilisées.

Un bref coup d’œil sur cette question révèle que la part du budget que le gouvernement malien alloue à la justice est infime. Précisément, elle représentait 0,44% du budget national de l’État en 2014. Pour remettre les choses en perspective, les fonds attribués au budget de la justice (exprimés en pourcentage du budget national) s’établissaient à 0,61% en 2008 et à 0,63% pour la période 2008-2014.[130] Ce choix se traduit en pratique dans le rapport 2009 du vérificateur général malien, selon lequel le budget annuel d’un des tribunaux de première instance de Bamako (voir encadré 5) était de 1.500 euros alors que le tribunal jugeait environ 3.500 affaires par an.[131] Aucune analyse n’est nécessaire pour comprendre que de tels montants sont inadéquats pour garantir une justice équitable et efficace. La question la plus intéressante, toutefois, est de savoir pourquoi le gouvernement malien consacre si peu de fonds au système judiciaire étatique. Le présent rapport ne peut apporter de réponse à cette question, étant donné qu’il ne l’a pas examinée en profondeur. Il suppose que garantir une justice adéquate aux citoyens n’a pas jusqu’ici constitué une priorité pour le gouvernement malien.

Le casse-tête concernant les ressources devient encore plus intéressant dès lors que l’on remarque que les ressources limitées attribuées à la justice permettent de faire la différence dans certains lieux où les fonctionnaires de justice prennent apparemment leur tâche au sérieux et la remplissent du mieux qu’ils peuvent, souvent avec beaucoup d’ingéniosité, tandis qu’ailleurs, les représentants de l’appareil étatique soutiennent que le manque de moyens nuit de façon irrémédiable à leur efficacité.[132] Bref, avant d’accepter l’argument selon lequel l’insuffisance des fonds est un des obstacles majeurs à l’amélioration de la justice étatique, et donc que des financements provenant de bailleurs de fonds sont à la fois souhaitables et porteurs d’une plus grande efficacité, il convient d’étudier plus précisément la façon dont les faibles ressources financières disponibles sont utilisées au niveau opérationnel, tout en tenant compte de facteurs non financiers tels que les comportements et l’intégrité des personnes concernées.

Une fois émises ces réserves sur la base des quelques éléments de preuve disponibles, il n’en demeure pas moins que les ressources tangibles et intangibles requises pour faire fonctionner la justice étatique comme il le faudrait sont considérables et qu’elles dépassent la capacité de l’État malien à y pourvoir. Même une forte augmentation du budget alloué par le gouvernement, associée à une amélioration de l’utilisation des ressources, de l’éthique de travail et des comportements professionnels ne permettrait pas, selon toute probabilité, de résoudre la question de manière satisfaisante. On observe en particulier trois « lacunes », qu’une simple augmentation des moyens ne peut résorber à court terme.

La première lacune clé est le manque de professionnels compétents, en particulier de magistrats et d’avocats. En 2008, on dénombrait 630 juges pour une population de quelque 13 millions d’habitants.[133] Ceci équivaut à 4,8 juges pour 100.000 habitants, nombre très inférieur à la moyenne nord-africaine de 9,8 et à la moyenne mondiale de 11,5 pour 100.000 habitants.[134] Ce manque de professionnels compétents contribue à la lenteur de nombreuses procédures. D’autre part, les personnes accusées de crimes sont susceptibles de recourir aux services d’un avocat. Or ceux-ci font cruellement défaut. Selon un rapport du ministère de la Justice datant de 2014, le Mali comptait 335 avocats, pour une population d’environ 16 millions d’habitants.[135] Par contraste, une étude réalisée par l’American Bar Association en 2011 a établi qu’il n’y avait à l’époque que 270 avocats pour une population de 15 millions d’habitants, la plupart de ces avocats se trouvant à Bamako. En 2014, Mopti, dont la population atteint les 2 millions d’habitants, disposait de moins de dix avocats.[136] La plupart des zones rurales ne comptent aucun avocat et il n’existe que peu d’attraits financiers à établir un cabinet juridique dans ces zones. Un moyen de compenser ce manque de représentation juridique est de créer des bureaux d’assistance juridictionnelle. De tels bureaux n’ont toutefois vu le jour jusqu’ici que près des tribunaux de première instance de la région de Kayes, et ce en dépit du fait que le droit malien a déjà pourvu à un cadre légal propice à leur création en 2011 et que de tels bureaux sont censés exister près de chaque cour d’appel, tribunal d’instance et JPCE.[137]

Une deuxième lacune clé est l’absence d’enseignement juridique professionnel et de formation judiciaire professionnelle adéquats. Parmi les multiples facettes de cette question, on peut citer l’absence de filières juridiques de qualité, de possibilités de formation professionnelle, de cours pratiques de recyclage (notamment concernant les derniers développements juridiques et ceux de la jurisprudence), un accès impraticable aux ouvrages juridiques de référence et un accès inadéquat à l’Internet. De nombreux professionnels du droit – en particulier les greffiers d’audience – ne sont dès lors pas en mesure d’exécuter leurs tâches de façon satisfaisante, leur connaissance du droit étant insuffisante.[138]

Une troisième lacune réside dans l’absence de moyens et de voies permettant d’accroître le niveau médiocre de connaissances qu’ont les citoyens maliens des droits et devoirs qui sont les leurs en vertu des lois de leur pays, ainsi que des procédures judiciaires étatiques. La langue et l’analphabétisme jouent un rôle important, et une plus grande sensibilisation des Maliens aux questions juridiques ne peut se résumer à un simple transfert de connaissances, mais exige une stratégie élargie allant de la promotion de l’alphabétisation à l’amélioration de l’éducation (civique). Afin de remédier au manque général de connaissances en matière juridique de la plupart des Maliens (dans la mesure où ce manque concerne le droit étatique), plusieurs organisations de la société civile ont formé des parajuristes pour aider des communautés nécessiteuses. En 2015, on dénombrait quelque 123 parajuristes au sein de telles communautés, travaillant dans sept des huit régions du Mali[139]. Alors que les services des parajuristes sont populaires dans le cas de divorces et de litiges fonciers, et que les bailleurs de fonds semblent vouloir intensifier et étendre ce projet, une étude récente du Hague Institute for the Internationalization of Law (2014) a révélé des pourcentages à un chiffre s’agissant de la fréquence avec laquelle il est fait appel aux parajuristes pour aider à régler des problèmes juridiques.[140] La raison de cette utilisation peu fréquente n’est pas clairement établie, mais il conviendrait de mener des études plus poussées, par exemple auprès de groupes cibles, avant que tout programme ne puisse être reconduit. On peut avancer comme première hypothèse le fait que le nombre peu élevé de parajuristes joue un rôle en l’espèce.

Pour terminer – est-il superflu de le mentionner ? –, bien que les lacunes dont il est question ci-dessus soient considérables, il ressort clairement d’autres chapitres du présent rapport que toute action qui serait uniquement centrée sur ces lacunes reviendrait à verser de l’argent dans un seau percé. Or il semble que ce soit précisément la stratégie adoptée jusqu’ici. Cette question sera examinée de façon plus détaillée après le paragraphe consacré à la justice transitionnelle.

Justice transitionnelle : aller au-delà d’une solution toute faite ?

Une brève analyse des efforts de justice transitionnelle mis en œuvre par le gouvernement malien pour répondre aux atrocités commises durant la crise de 2012 se justifie parce qu’elle constitue une nouvelle occasion de mettre à l’épreuve la thèse essentielle du présent rapport. À savoir que, pour améliorer les résultats de la justice à court et moyen terme, sont nécessaires une plus grande reconnaissance mutuelle et une utilisation combinée des systèmes judiciaires étatiques et coutumiers du Mali – ceux-ci étant considérés comme des composantes à peu près égales de l’« écosystème » judiciaire du pays.[141]

Il est établi que pendant la crise de 2012, de graves violations des droits de l’Homme ont été commises par toutes les parties concernées, tant contre des combattants que des civils et des communautés, et que ces violations ont consisté en actes de torture, exécutions sommaires, viols, châtiments collectifs et actes de pillage.[142] Le niveau sans précédent de la violence a eu un effet dévastateur sur la vie de milliers de personnes, en fracturant le tissu social déjà fragile et en déstabilisant davantage de nombreuses communautés.[143] En réaction à ces violences, les Maliens ont exprimé leur volonté que la lumière soit faite sur ce qui s’est réellement passé et que la vérité soit recherchée au moyen d’un processus de justice transitionnelle qui s’appuie sur des éléments forts de responsabilité.[144] Le défi posé par cette exigence populaire est double.

Premièrement, compte tenu de la primauté et de la force des mécanismes judiciaires coutumiers dans le Nord, on pourrait penser qu’ils devraient jouer un rôle clé dans toute initiative de justice transitionnelle conçue pour réconcilier les communautés et restaurer la confiance.[145] Cependant, ces mécanismes coutumiers sont surtout adaptés pour régler des affaires de portée limitée et de nature modique. Ils semblent donc peu adéquats pour traiter de la complexité et de l’étendue des faits, ainsi que de la durée des dommages physiques et psychologiques soufferts, en particulier dès lors que des agents de l’État sont en cause.[146] Le besoin d’intégrer les mécanismes judiciaires coutumiers dans les efforts de justice transitionnelle se heurte dès lors aux limites d’un tel exercice.

Deuxièmement, le gouvernement malien a lancé un ambitieux programme de justice transitionnelle, centré sur l’État et qui s’appuie sur un très grand nombre d’institutions, y compris une enquête de la Cour pénale internationale (CPI),[147] une Commission Vérité, Justice et Réconciliation, une commission internationale d’enquête, des stations d’écoute parrainées par le gouvernement, une commission anti-corruption, des enquêtes nationales, une commission des droits de l’Homme, et une stratégie d’abandon de certaines poursuites qui revient à accorder des amnisties.[148] Alors que ce faisceau d’activités semble louable et donne à croire qu’il existe une volonté de remédier aux injustices commises dans le passé, on ne peut s’empêcher de formuler quelques mises en garde. Pour commencer, la réintroduction générale de la justice étatique au Nord doit s’effectuer progressivement et avec doigté. S’il est évident que les pratiques discriminatoires et corrompues de la période précédant la crise ne sauraient être réinstallées, il faut aussi lentement regagner la confiance de la population locale.[149] Il est par ailleurs peu probable que l’État réussisse, dans un avenir proche, à mettre en œuvre le système judiciaire décentralisé qui existe sur le papier. Combiné à la détérioration de la situation sécuritaire, qui semble confirmer que l’effort de justice transitionnelle vient peut-être trop tôt, le Mali oscillant entre situation de conflit et situation d’après-conflit, cette incapacité limitera considérablement la perception positive et l’efficacité espérée des efforts de justice transitionnelle (par exemple en termes de capacité à recueillir des éléments de preuve dans le Nord, qui a été frappé par le conflit).[150]

En réalité, certaines initiatives gouvernementales se sont déjà heurtées à des difficultés. Lorsque le gouvernement a créé la Commission Dialogue et Réconciliation (DRC) en 2013, celle-ci a été dissoute assez rapidement à la suite de pressions de groupes nationaux et internationaux qui lui reprochaient de ne pas consulter de façon adéquate la société civile et les associations de victimes, et de progresser trop lentement.[151] Il a également été estimé que son mandat de deux ans pour identifier les parties prenantes au processus de dialogue et réconciliation, répertorier les affaires de violations des droits de l’Homme commises entre 2012 et la stabilisation du pays, et suggérer la façon dont les victimes d’expériences traumatiques pouvaient gérer celles-ci avait une portée trop réduite.[152] De plus, la DRC ayant été créée par le gouvernement de transition avant l’élection du président de la République IBK, elle a par la suite souffert d’un manque d’appropriation et de soutien politique.[153] En réponse, le gouvernement a établi la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) en 2014 pour la remplacer. Cette institution, cependant, n’est pas encore opérationnelle. Contrairement à la DRC, elle dispose d’un mandat beaucoup trop large (crimes commis dans le Nord entre 1960 et 2013), ainsi que sept domaines thématiques disparates. La place hiérarchique qui lui est attribuée sous le ministère de la Réconciliation est problématique car elle laisse à l’exécutif la possibilité de maintenir un contrôle sur les conclusions de la CVJR.[154]

Box 6 Expériences de justice transitionnelle et réponses internationales

La définition de la justice transitionnelle telle que proposée par le Conseil de sécurité des Nations Unies (2004) contient deux enseignements importants qui reflètent plus d’une décennie d’expérience avec des processus de justice transitionnels :

La reconnaissance pragmatique du fait qu’engager des poursuites uniquement selon les méthodes conventionnelles peut en réalité empêcher ou compliquer les processus de paix. Dans certains cas, des approches judiciaires alternatives peuvent se révéler mieux adaptées pour aider les populations à apporter des solutions à des problèmes profondément enracinés tout en favorisant la réconciliation.

La réalisation que dans une situation d’après-conflit, le « succès » ne peut être acquis que grâce à la combinaison de plusieurs facteurs : une large participation du public, un désir d’affronter les causes du mal, des efforts plus généraux pour améliorer la qualité de la justice étatique, et des approches intégrées – c’est-à-dire un assemblage de diverses méthodes de prise en compte allant de la réconciliation au châtiment.

Cet encadré est basé sur : Ambos, K., Large, J. et Wierda, M., Building a Future on Peace and Justice, Berlin, Springer (2009), op.cit. ; Conseil de sécurité des Nations Unies (2004), op. cit.

Face à ces difficultés, une récente évaluation a recommandé que le gouvernement malien qualifie les crimes relatifs à la crise de 2012 et les assigne ensuite à différents mécanismes de justice transitionnelle en fonction de leur gravité. Les crimes les plus graves pour lesquels des preuves indubitables ont été rassemblées pourraient ainsi être attribués au système judiciaire étatique, des processus – coutumiers ou autres – permettant de statuer sur les autres types de crimes.[155] Ceci reflète la façon dont certaines des personnes interviewées décrivent habituellement la répartition du traitement des crimes nationaux : d’un côté, les affaires les plus graves, qui reviennent autant que possible à l’État, et de l’autre, les affaires moins importantes qui sont réglées par les acteurs de la justice coutumière.[156] Bref, une approche mixte et pragmatique sur la base de ce qui est faisable, et qui traduit les enseignements de l’encadré 6.

En résumé, la profonde méfiance et l’insécurité persistante au Nord, de même que le manque de capacité des mécanismes judiciaires dans tout le pays, suggèrent que l’approche du gouvernement, centrée sur l’État et qui repose sur un nombre important d’institutions, risque d’échouer. Ce constat n’est pas seulement clairement préoccupant ; il suggère qu’une approche plus créative est nécessaire, qui traduise les réalités des différents systèmes judiciaires du pays d’une manière plus réfléchie.

Améliorer la justice étatique : les limites de l’approche « classique » de la réforme

Des tentatives de réforme ont été entamées dès la première décennie qui a suivi le virage démocratique du Mali en 1991 pour répondre aux paramètres stratégiques et aux questions d’efficacité évoqués plus haut. La question de savoir si ces efforts avaient porté leurs fruits est devenue plus aiguë lors de la crise de 2012, qui a rendu encore plus urgent le besoin d’un appareil judiciaire en état de marche. Ce chapitre examine brièvement les efforts antérieurs et s’attache à comprendre les raisons de leur succès – ou de leur insuccès – afin d’en tirer des leçons. Cette évaluation ayant déjà été réalisée en grande partie ailleurs, les informations qui suivent en constituent une brève synthèse.

Deux efforts de réforme majeurs se remarquent dans le cadre de cet examen. Le premier porte sur deux vastes programmes consécutifs de réforme judiciaire connus sous le nom de Programme Décennal de Développement de la Justice (PRODEJ I et II). Ensemble, ils couvrent la période allant de 2000 à 2014. Le second est la feuille de route pour la réorganisation de l’appareil judiciaire, aussi appelé Carte judiciaire, qui a été lancée en 2011. Le tableau 1 offre un bref résumé des objectifs clés de chacun de ces efforts de réforme.

Table 1
Objectifs clés des efforts majeurs d’amélioration de la justice étatique au Mali

PRODEJ – I et II Carte judiciaire
2000–14 2011
Doter adéquatement l’appareil judiciaire en ressources humaines Remplacer les JPCE par des chambres composées de collèges de magistrats
Améliorer la qualité de la documentation juridique et la disponibilité des textes de loi et de la jurisprudence Remplacer les chambres à juge unique des TPI par des chambres composées de collèges de magistrats
Revoir le corpus existant des lois maliennes afin de s’assurer qu’elles sont adaptées aux objectifs recherchés, intelligibles et ne contiennent pas de redondances Créer de nouvelles juridictions et étendre l’infrastructure judicaire en conséquence
Renforcer la capacité du système judiciaire à lutter contre la corruption Mettre en œuvre une série de modestes modifications législatives et d’innovations organisationnelles
Améliorer l’enseignement du droit (qualitativement et quantitativement), élever le niveau de connaissances juridiques de la population, accroître la communication sur les procédures et décisions
Améliorer l’infrastructure judiciaire et la doter des équipements nécessaires

Ce tableau est basé sur: Justicemali.org (consulté le 21 juillet 2015), divers articles sur la carte judiciaire publiées sur Maliweb.net (consultés le 20 juillet 2015) ; Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme (2014), op. cit.

PRODEJ I et II : 2000-2014

Les programmes PRODEJ I et PRODEJ II ont opté pour une approche classique d’amélioration de l’efficacité de la justice étatique malienne au moyen d’interventions opérationnelles déployées du haut vers le bas et centrées sur les moyens. Les examens et évaluations menés périodiquement pendant ces 14 années d’efforts laissent cependant planer le doute quant aux résultats obtenus par l’un ou l’autre des programmes du point de vue d’une amélioration importante et à grande échelle de la qualité de la justice fournie par l’appareil judiciaire étatique. Au contraire, certains observateurs ont laissé entendre que les programmes avaient principalement été utilisés comme des prétextes pour attirer des financements de bailleurs de fonds, financements qui auraient ensuite été détournés à des fins privées. Les deux programmes ont également été critiqués pour leur lenteur, leur manque d’effet, leurs graves problèmes de gestion et la faiblesse du soutien politique dont ils ont bénéficié, tout ceci contribuant à faire fuir les partenaires internationaux dès lors que les difficultés associées à l’amélioration de la justice s’accumulaient et devenaient de plus en plus apparentes.[157]

D’autre part, une enquête menée conjointement par le CILC et le NHC en 2013-2014 a établi qu’à trois moments d’évaluation du système judiciaire, en 2001, 2007 et 2014, les problèmes et les conclusions qu’on pouvait en tirer présentaient une cohérence prévisible.[158] Ce constat ne suggère pas seulement que les graves problèmes qui affectent le système judiciaire étatique demeurent, mais semble également révéler une résistance farouche au changement au sein des élites politiques et juridiques maliennes et/ou l’incapacité d’individus plus favorables au changement à réformer le système de l’intérieur.[159] Enfin, il prouve que les problèmes du système judiciaire étatique remontent à une période située bien avant la crise de 2012.[160]

La carte judiciaire : 2011

La carte judiciaire, initiative gouvernementale visant à réorganiser l’appareil judiciaire étatique malien, était venue remplacer un effort précédent qui avait été torpillé par le Parlement en 2009.[161] Un de ses principaux objectifs était d’abolir les JCPE (voir encadré 5), qui concentraient les fonctions d’instruction, de poursuite et de décision entre les mains d’une seule personne. Considérées au départ comme une méthode bon marché pour apporter la justice étatique dans les zones les plus reculées du Mali, les JCPE avaient en l’occurrence fait l’objet de nombreuses critiques, certains allant jusqu’à accuser les magistrats de terroriser des justiciables, leur valant le qualificatif de « juges injustes ».[162] La carte judiciaire prévoyait également un autre changement : l’accroissement considérable du nombre de tribunaux dans tout le pays afin d’améliorer l’accès à la justice. Selon le projet, sa mise en œuvre devait coûter 6,5 milliards de francs CFA (soit environ 10 millions d’euros).[163] Toutefois, moins d’1% du budget national étant alloué au secteur de la justice, l’initiative reposait entièrement sur la bonne volonté des bailleurs de fonds. Comme on pouvait s’y attendre, la transition vers la structure envisagée du système judiciaire s’est effectuée à un rythme extrêmement lent. Elle reste largement inachevée à ce jour. Les progrès semblent avoir été marginaux dans le Nord et au mieux, modestes et progressifs dans le Sud.[164] Le résultat est la coexistence de deux systèmes judiciaires (l’ancien et le nouveau), ce qui en accroît la complexité et en diminue l’efficacité.

Il n’y a rien de surprenant à ce que tant les programmes PRODEJ que la carte judiciaire n’aient pas (encore) apporté de changements importants à la façon dont la justice étatique est fournie au Mali. Ces projets semblent en effet être partis du principe que l’efficacité de la justice étatique pouvait être améliorée en remédiant aux carences qui sont les siennes en matière de ressources tangibles et intangibles. Les efforts et les fonds disponibles ont été déployés sur la base de ce postulat. Cependant, ils l’ont été dans un contexte où la question des identités reste non résolue au Mali, où le gouvernement (mais aussi l’appareil judiciaire) est fortement dominé par un pouvoir exécutif qui est l’auteur et l’interlocuteur principal pour les deux initiatives, et où la justice étatique reste inaccessible structurellement parlant pour la majorité de la population. Si l’on superpose à ces éléments les connaissances actuelles en termes généraux de défis à relever pour mener des réformes efficaces dans un environnement de développement, et tenir ainsi compte de leur nature politique sensible, du phénomène de « mimétisme isomorphe » (ou adaptation institutionnelle superficielle aux gabarits promus par des acteurs externes) et des obstacles à l’action collective, on se rend aisément compte que les réflexions sur lesquelles ces initiatives se sont appuyées – à savoir la façon dont les changements se produisent – étaient profondément erronées.[165]

La dernière question à aborder est celle de savoir si le climat actuel permet d’améliorer la justice étatique malienne et est devenu plus propice depuis 2012. Sur le plan positif, l’ancien ministre de la Justice a écarté le plan de réforme de l’administration judiciaire et pénitentiaire 2015-2019 que son prédécesseur avait lancé.[166] Ce plan, s’il avait été poursuivi, aurait pu accroître l’indépendance du CSM et de la CVJR, mais il se fondait également, pour ce qui est du changement, sur des postulats comparables à ceux contenus dans les programmes PRODEJ I et II en termes d’approches du haut vers le bas et de choix axés par nécessité sur les ressources.[167] À la place de ce plan, l’ancien ministre de la Justice a organisé une série d’ateliers dont l’objectif est de permettre aux magistrats et aux fonctionnaires de justice travaillant « en première ligne » – au niveau des tribunaux – de suggérer des réformes prioritaires. L’ancien ministre entendait développer des plans d’action et débloquer des budgets sur la base de ces propositions.[168] Il est encore trop tôt pour se prononcer sur cette initiative – si celle-ci se poursuit sous les auspices du ministre de la Justice actuel –, mais cette approche est prometteuse car, bien qu’elle se limite strictement à la justice étatique, elle propose une approche du bas vers le haut.

Sur le plan négatif, les espoirs initiaux de changement qui avaient accompagné l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta comme président de la République semblent s’être évaporés deux ans après sa prise de fonction. L’élite politique du Mali, y compris le président lui-même, ne paraît pas avoir pris conscience de l’urgence qu’il y a à changer la manière dont le Mali est gouverné au lendemain de la crise de 2012. Le prisme de la sécurité avant toute chose à travers lequel les bailleurs de fonds ont choisi d’identifier leurs priorités au Mali contribue à renforcer ce sentiment parce qu’il a conduit la communauté internationale à continuer de collaborer avec le gouvernement malien en tant que partenaire clé dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée – en dépit de la crise existentielle que l’État malien a traversée il y a à peine trois ans. Par conséquent, nombre des pratiques dysfonctionnelles (car utilisées à des fins personnelles) de la période antérieure perdurent, le mécontentement populaire augmente, tandis que des accusations de détournements et de gestion défaillante de fonds ont été portées contre des personnes de l’entourage du président de la République.‍[169]

Malgré ce tableau mitigé, le nombre de bailleurs de fonds dans le secteur de la justice en 2015 est plus élevé qu’avant la crise et ils reconnaissent la nécessité d’une approche coordonnée. Un plaidoyer plus fort en ce sens pourrait créer un climat plus propice aux efforts d’amélioration de l’efficacité de la justice d’État au Mali, à condition que puisse être développée une stratégie partagée visant à réunir les initiatives internationales, qui sont actuellement fragmentées.[170]

Les différents systèmes qui constituent le pluralisme juridique du Mali ne doivent toutefois pas être considérés comme des éléments totalement distincts les uns des autres. Ils existent des liens entre eux et ils interagissent, indépendamment des lois et des opinions officielles. Il serait dès lors utile d’examiner plus en détail les points d’interaction – en plus des caractéristiques propres de chacun des systèmes. La portée de la présente étude était toutefois trop réduite pour permettre un tel examen. Sur le sujet, voir : Isser, D. (éd.), Customary Justice and the Rule of Law in War-Torn Societies, Washington, DC, United States Institute for Peace Press, 2011.
Les litiges fonciers sont l’une des sources de tension les plus fréquentes entre les différentes catégories socio-professionnelles du Mali (pêcheurs, paysans, éleveurs, etc.) et les communautés. Sources : Social Films, Delivery of Justice in Mali, (consulté le 8 mars 2015) ; HiiL (2014), op. cit. Toutefois, les autorités judiciaires coutumières traitent à la fois d’affaires de droit civil et de droit pénal, une frontière floue séparant les deux. Interviews individuelles, Goff, D., Bamako, 25-30 mars 2015 et 1er-2 avril 2015, Van Veen, E., Bamako, le 28 mars 2015, Goff, D., La Haye, le 10 mars 2015 ; HiiL (2014), op. cit.
voir par exemple : Bengaly (2015), op. cit. ; Bengaly et al. (2015), op. cit. ; HiiL (2014), op. cit.
Interview individuelle, Goff, D., Bamako, le 1er avril 2015.
Voir par exemple : Isser (2011), op. cit.
Dakouo, A., Koné, Y. and I. Sanogo, La cohabitation des légitimités au niveau local, Bamako, Alliance Malienne pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA/Mali), 2009.
Davis, J., Supporting Peaceful Social, Political, Cultural and Economic Change in Mali, Londres, International Alert, 2014.
Ibid. L’incidence réduite de la corruption sur les mécanismes judiciaires coutumiers s’explique peut-être partiellement par la rareté des occasions, étant donné que les affaires (et les enjeux financiers qui s’y rattachent) sont moins importantes. Toutefois, on ne peut exclure le rôle joué par le contrôle social et la proximité. Ceci mériterait une plus ample analyse.
Interview individuelle, Goff, D., Bamako, le 1er avril 2015.
Interviews individuelles, Goff, D., Bamako, les 30 mars et 1er-2 avril 2015, Van Veen, E., Bamako, le 28 mars 2015.
ABA (2012), op. cit. ; Feiertag (2008), op. cit. ; interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 28 mars 2015.
Au moins un projet visant à cartographier ces systèmes a été lancé par les Français sous le nom « Les Grands Coutumiers ». Ce projet n’a toutefois pas abouti (Pringle, R. [2006], op. cit.). Comme il s’est révélé impossible de dresser un état des lieux des approches et mécanismes des différents systèmes judiciaires coutumiers dans le cadre de ce projet, son traitement des mécanismes en question reste quelque peu sommaire.
Pringle, R. (2006), op. cit.
Interview individuelle, Goff, D., Bamako, le 1er avril 2015. Des recherches plus poussées seraient nécessaires pour établir les mécanismes (ou règles) sur la base desquels une partie ou tradition tierce est identifiée.
Il existe bien entendu des accords pratiques. Les décisions des Cadis, ces dignitaires religieux de premier plan qui rendent la justice dans le Nord et sont particulièrement présents à Tombouctou, peuvent être reconnues de façon informelle par un magistrat officiel lorsque celles-ci répondent à un certain nombre de critères de base et ne sont pas contradictoires avec le droit positif (c’est-à-dire le droit non coutumier en vigueur). Sources : plusieurs interviews individuelles, Goff, D., Bamako, 25-27 mars 2015 ; Titre V, chapitre 14, article 46 de l’« Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger », projet d’accord, version du 25 février 2015 à 19h30).
Dakouo et al. (2009), op cit.; interview individuelle, Goff, D., Bamako, le 2 avril 2015.
Ce clivage a été constaté objectivement par un des auteurs au cours d’un atelier auquel participaient 32 représentants de différentes parties prenantes institutionnelles en matière de procédure pénale malienne, qui s’est tenu à Mopti les 30 et 31 mars 2015. Voir aussi : Pringle, R. (2006), op. cit.
Pour une analyse plus en profondeur de ces questions : Moulaye et al. (2007), op. cit ; ABA (2012), op. cit. ; De Vries et al. (2014), op. cit.
Par exemple : Afrobaromètre (2013), op. cit. ; Bengaly (2015), op. cit. ; Bleck, J., ‘Mali’, Countries at the Crossroads, Freedom House, 2011, (consulté le 8 mars 2015).
Wikileaks (2009), op. cit. Voir aussi : ‘Mali Country Profile’, Business Anti-Corruption Portal, (consulté le 6 mars 2015).
Maître Fanta Sylla à Maliactu, le 21 août 2015, (consulté le 27 juillet 2015).
Pour les données de base : Bleck (2011), op. cit. ; Banque mondiale, Indicateurs de gouvernance mondiaux : rapport sur le Mali 1996-2013, Washington, DC, 2013, (consulté le 9 septembre 2015).
Interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 28 mars 2015.
Interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 20 février 2015.
Interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 27 mars 2015.
Voir par exemple : Afrobaromètre (2013), op. cit. ; interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 20 février 2015. Le salaire mensuel minimum d’un juge est de 67 dollars des États-Unis (ABA, 2012). Selon une des personnes interviewées, le programme décennal de développement de la justice (PRODEJ-I) incluait une initiative visant à augmenter les salaires des juges en vue de réduire la corruption, initiative qui n’a pas rencontré de succès. Interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 27 mars 2015.
Interview individuelle, Goff, D., Bamako, le 30 mars 2015.
Ibid. Voir aussi : Pringle (2006), op. cit. ; Bengaly (2015), op. cit.
Plusieurs interviews individuelles, Goff, D., La Haye/Bamako, les 20 février, 27-28 mars et 2 avril 2015 ; ‘Mali Country Profile’, Business Anti-Corruption Portal, sans date, (consulté le 26 juin 2015).
Interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 10 mars 2015.
Interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 28 mars 2015.
Interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 10 mars 2015 ; interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 27 mars 2015 ; échange par courrier électronique de l’auteur avec un expert en droit pénal au Mali, La Haye, le 2 septembre 2015.
Bureau of Economic and Business Affairs, 2014 Investment Climate Statement – Mali, US Department of State, 2014, (consulté le 7 mars 2015).
Interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 27 mars 2015.
Voir à ce sujet : Briscoe (2014), op. cit. ; De Vries et al. (2014), op. cit.. Pour être honnête, ce problème se rencontre également dans des systèmes de justice pénale plus avancés. Voir : Stewart, J., In Corporate Crimes, Individual Accountability is Elusive, New York Times, le 19 février 2015. Des enquêtes menées au sein du système judiciaire américain ont établi que les hauts responsables de sociétés soupçonnés de malversations financières sont rarement poursuivis.
‘Mali charges six judges with corruption’, News 24, le 12 décembre 2013, (consulté le 7 mars 2015).
Menocal relève que l’association d’un haut degré d’autonomie professionnelle et de l’absence de contrôles constitue une incitation majeure à la corruption (Menocal, A., Why corruption matters: understanding causes, effects and how to address them, communication sur la corruption, Londres, DFID, 2015. Voir aussi : Bengaly (2015), op. cit. pour un traitement plus détaillé des questions de corruption et un ensemble de pistes pour y remédier.
Comme on peut le découvrir ci-après : De Vries et al. (2014), op. cit. ; Weiss, P. et al., Période de démarrage du programme d’appui au secteur de la justice au Mali (PAJM), rapport final et annexes, Union européenne, 2014.
Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, Document de projet de réforme de la justice, de l’administration pénitentiaire et de l’éducation surveillée au Mali, Bamako, MINUSMA et PNUD, 2014.
Le Vérificateur Général du Mali, Rapport Annuel, Bamako, Bureau du Vérificateur Général, 2009.
Échange par courrier électronique de l’auteur avec un expert en droit pénal au Mali, La Haye, le 2 septembre 2015.
Réseau Francophone de Diffusion du Droit, (consulté le 31 juillet 2015).
Harrendorf et al. (éds), International Statistics on Crime and Justice, Helsinki, Heuni and UNODC, 2010.
Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme (2014), op. cit.
ABA (2012), op. cit. ; Wijeyaratne, S. et Vercken, N., What Next for Mali: Four Priorities for Better Governance, note d’information d’Oxfam, février 2014, (consulté le 8 mars 2015).
Wijeyaratne et Vercken (2014), op. cit. ; ABA (2012), op. cit.
Pour une analyse un peu plus détaillée de ces questions : Vérificateur Général du Mali (2009), op. cit. ; Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme (2014), op. cit.
Wijeyaratne et Vercken (2014), op. cit. ; Oxfam, op. cit. ; CNPCP-Mali, À propos du CNPCP, 2006-2007, (consulté le 7 mars 2015) ; Ambassade du Danemark à Bamako et al., Concept Note: Transition to Country Programming in Mali 2015-2016, Bamako, mars 2014, (consulté le 8 mars 2015).
Wijeyaratne (2014), Oxfam, op. cit. ; Ambassade du Danemark à Bamako et al (2014) op. cit.; HiiL (2014), op. cit.
Bien qu’il n’existe pas de définition universellement partagée de la justice transitionnelle, la formulation utilisée par l’ONU fait autorité : « Le concept d’« administration de la justice pendant la période de transition » (« justice transitionnelle ») (…) englobe l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation. Peuvent figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des contrôles et des révocations, ou une combinaison de ces mesures ». Source : Conseil de sécurité des Nations Unies, Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, Rapport du Secrétaire général, New York, Nations Unies, 2004.
Ainsi que consigné, par exemple dans : Human Rights Watch (HRW), Mali : les rebelles du Nord perpètrent des crimes de guerre, le 30 avril 2012, (consulté le 15 juillet 2015).
Voir par exemple : Allegrozzi and Ford (2013), op. cit.
Selon un sondage, 49% des personnes interrogées souhaitent que la vérité soit établie, 46% que les auteurs de crimes soient tenus responsables de ceux-ci, 41% veulent que les dirigeants soient jugés, et 37% que les racines du conflit soient identifiées. Le pardon, la paix et l’indemnisation des victimes sont considérés comme moins prioritaires. Les Maliens du Nord estiment à une très forte majorité qu’il est important de poursuivre les auteurs des crimes. Source : HiiL (2014), op. cit. Selon un autre sondage, 73% des gens veulent que la lumière soit faite sur ce qui a eu lieu, contre 26% qui préfèrent passer à autre chose ; 90% veulent que les auteurs de crimes politiques soient reconnus coupables. Les Maliens souhaitent également que les poursuites judiciaires s’exercent à tous les niveaux et que les auteurs de violations des droits de l’Homme ne puissent plus jamais occuper de poste dans la fonction publique. Source : Afrobaromètre (2013), op. cit. En règle générale, une proportion significative des individus et communautés du Nord exige une combinaison de justice réparatrice et de justice punitive. Voir aussi : Coulibaly (2014), op. cit. ; Allegrozzi and Ford (2013), op. cit.
Les mesures de justice transitionnelles inscrites au Titre V, chapitre 14, article 46 de l’accord de paix (version du 25 février 2015) doivent être comprises en ce sens.
Un raisonnement similaire peut être suivi en ce qui concerne l’incapacité des mécanismes judiciaires coutumiers de répondre à la criminalité organisée. Toutefois, et parce qu’il sape lentement les normes sociales et les systèmes de valeurs des communautés du nord du Mali qui ont permis de faire accepter les systèmes judiciaires coutumiers séculaires et d’en assurer l’efficacité, cet aspect particulier de l’influence négative de la criminalité organisée mériterait une plus grande attention, en particulier dès lors que ces mécanismes coutumiers jouent un rôle important dans le maintien d’une stabilité résiduelle. Voir : Bengaly et al. (2015), op. cit.; voir aussi : Briscoe, op. cit. ; Lacher, W., Organized Crime and Conflict in the Sahel-Sahara, Washington, DC, The Carnegie Papers Middle East, 2012 ; Chauzal et Van Damme (2015), op. cit.
Après que le gouvernement malien eut demandé cette enquête, celle-ci fut naturellement menée de façon indépendante.
Pour en savoir plus sur ces processus : ICTJ (2014), op. cit. ; ABA ROLI, A Transitional Justice Strategy for Mali, Washington, DC, ABA Rule of Law Initiative, 2015.
Bengaly et al. (2015), op. cit.
À propos de la situation sécuritaire : ‘UN Peacekeeper killed in shooting in Mali capital’, Al Jazeera, le 26 mai 2015, (consulté le 29 juillet 2015) ; ‘Mali bar attack kills five in Bamako’, BBC News, le 7 mars 2015 (consultés le 29 juillet 2015). Concernant les limites de la justice étatique dans le Nord : ABA ROLI (2015) op. cit. ; ICTJ (2014), op. cit. ; interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 10 avril 2015.
ICTJ, Internationally-led Justice Efforts in Mali Must Consider National Context, Adapt to Local Needs, le 10 juin 2014, (consulté le 29 juillet 2015) ; Ladisch, V., Possibilities and Challenges for Transitional Justice in Mali: Assessment Report, septembre 2014, (consulté le 29 juillet 2015) ; Look, A., ‘Mali Assembly to Discuss Truth Commission’, le 12 mars 2014, (consulté le 29 juillet 2015).
Ladisch (2014), op. cit.
Stockholm International Peace Research Institute, Chronology of key events in Mali, 1891-present, 2014, (consulté le 29 juillet 2015).
Simpson, C., Mali’s Kidal still waits for resolution, IRIN, le 17, février 2014, (consulté le 29 juillet 2015) ; Ladisch (2014), op. cit. ; FIDH, La feuille de route consensuelle pour le processus de vérité, de justice et de réconciliation au Mali, le 14 novembre 2014, (consulté le 29 juillet 2014).
ABA ROLI (2015), op. cit., (consulté le 23 juillet 2015).
Interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 10 avril 2015 ; interviews individuelles, Goff, D., Bamako, les 30 mars et 1er avril 2015.
Otis, L. et S. Feiertag, Réforme de la justice du Mali/PRODEJ, Rapport prospectif, Bamako, 2007 ; Feiertag (2008), op. cit. ; interviews individuelles, Goff, D., La Haye, le 10 mars 2015 ; Pringle, R. (2006), op. cit. ; Wing (2008), op. cit.;
De Vries et al. (2014), op. cit.
De puissants acteurs potentiels de changement existent bien entendu. La Cour constitutionnelle a ainsi élu récemment Mme Manassa Danioko, un de ses membres, comme présidente de la Cour en février 2015. Il convient de noter que lorsqu’elle occupait la fonction de présidente du TPI de Bamako, Mme Manassa Danioko avait été suspendue et révoquée de cette institution en 1988 sur l’intervention personnelle du président de la République d’alors, Moussa Traore, au motif qu’elle faisait preuve de trop de fermeté et de droiture. Elle avait été rétablie dans ses fonctions en 1991 lorsque le Mali avait renoué avec la démocratie et c’est à elle que l’on doit le lancement du projet PRODEJ, ainsi que la rédaction d’un pamphlet corrosif sur le statut de l’appareil judiciaire malien. Voir « Mali : Mme Manassa Danioko à la tête de la Cour constitutionnelle : le couronnement d’un parcours exceptionnel », Mali Actu, le 2 mars 2015, (consulté le 6 mars 2015) ; Conference of Constitutional Jurisdictions of Africa, Constitutional Court of Mali: Mrs Danioko Manassa, new president, le 28 février 2015, (consulté le 6 mars 2015).
Interview individuelle, Goff, D., La Haye, le 10 mars 2015 ; Pringle, R.(2006), op. cit.
Voir par exemple : Weiss et al. (2014), op. cit.
Fall, B., Pleins feux sur la nouvelle carte judiciaire du Mali, Maliweb, le 24 février 2011, (consulté le 30 juin 2015).
Échange par courrier électronique de l’équipe de recherche avec plusieurs experts en droit au Mali, mi-juin 2015.
Van Veen, E. (2015), More Politics, Better Change Management: Improving International Support for Security and Justice Development Programming in Fragile Situations, Paris, Éditions OCDE, à paraître ; Andrews (2013), op. cit.; Booth (2012), op. cit.
Le 25 septembre 2015, Sanogo Aminata Mallé a succédé à Mahamadou Diarra en tant que ministre de la Justice. Il est fait référence ici à Mahamadou Diarra, (consulté le 28 septembre 2015).
Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme (2014), op. cit.
Échange de courrier électronique entre un des auteurs et une source proche du ministère malien de la Justice, début septembre 2015.
Sur le sujet de la poursuite des pratiques « anciennes » : Chauzal (2015a), op.cit. ; interview individuelle, Van Veen, E., Bamako, le 27 mars 2015 ; Konate, O., Campagnes présidentielles de 2013 : IBK trahit toutes ses promesses, Mali24info, le 15 avril 2015, (consulté le 3 mai 2015) ; Baudais, V., Instantané politique malien, trois ans après la crise de 2012, Mediapart, le 4 mai 2015, (consulté le 4 mai 2015) ; Hugeux, V., Nord du Mali : le va-tout d’IBK, L’Express, le 22 novembre 2013, (consulté le 5 mai 2015) ; à propos de la gestion défaillante de fonds : « Le FMI critique ouvertement l’achat du nouveau jet présidentiel », Jeune Afrique, le 20 mai 2014, disponible en ligne sur : (consulté le 4 mai 2015).
Interview individuelle, Goff, D., Bamako, le 2 avril 2015. Indépendamment l’un de l’autre, un consultant mandaté par le PNUD et l’ambassade des Pays-Bas ont commencé à dresser un état des lieux des dizaines d’efforts actuellement déployés par les bailleurs de fonds pour aider la justice étatique malienne. Bien que ces initiatives n’aient pas encore trouvé leur conclusion au moment de la rédaction du présent rapport, elles suggèreraient déjà une fragmentation importante des efforts, un manque de réflexion stratégique conjointe et à certains égards, des doubles emplois.